
Mis en ligne par Grendel Bubble le 27 août 2025
Mis à jour le 27 août 2025

Il est d’usage d’entendre dire que nos dirigeants sont incompétents, et que les puissants de ce monde ne sont, au fond, que des fous ou des salauds.
Dans les régimes autoritaires ou autocratiques, la chose ne fait guère débat : les institutions sont confisquées, la presse réduite au silence, les scrutins falsifiés. La peur devient alors le ciment du pouvoir : la répression l’alimente, la propagande l’entretient, et l’autorité se prolonge en étouffant toute contestation.
Mais dans des régimes que l’on dit démocratiques, où les représentants sont élus, où l’entreprise se déploie librement, où la presse dispose d’une relative indépendance et où les opinions s’expriment avec davantage de latitude, les mêmes accusations se font entendre.
Les élus y sont fréquemment décrits comme malhonnêtes ou inefficaces. On les rend responsables d’une situation jugée préoccupante : déficits budgétaires chroniques, sentiment d’appauvrissement et de déclassement, insécurité diffuse, incapacité à anticiper les bouleversements climatiques, confusion entre proximité et clientélisme, promesses intenables, réformes inachevées ou improvisées, gouvernance souvent dictée par les sondages plutôt que par une vision de fond. Autant d’éléments qui nourrissent le doute sur leur utilité et sur leur probité.
Les capitaines d’industrie, quant à eux, apparaissent comme les artisans d’une mondialisation qui privilégie le rendement boursier : ils délocalisent, ferment des sites rentables, et traduisent leur « vision » en austérité pour les salariés.
La finance, de son côté, donne l’impression de se mettre au service d’une élite restreinte. Elle est accusée de délaisser l’économie réelle, de spéculer sur la dette publique, de créer des produits opaques dont profiteraient quelques privilégiés, d’engranger des bonus spectaculaires à la suite de crises qu’elle aurait contribué à provoquer, avant d’être sauvée par les banques centrales.
Quant aux maîtres du Big Data, nouveaux souverains invisibles, ils aspirent nos vies à travers nos écrans. Ils traquent gestes, goûts et errances pour les transformer en prédictions et en publicités ciblées. Ils s’érigent en arbitres de l’information en dictant ce qui apparaît dans nos fils d’actualité. Chaque clic, chaque mot, chaque silence devient marchandise. Ainsi, ils enferment les autres acteurs économiques — et chacun de nous — dans une dépendance presque totale.
Mais les travers que nous imputons aux puissants ne sont-ils pas, d’une certaine manière, le miroir de nos pratiques collectives ?
Dans nos sociétés, nous persistons à privilégier les organisations verticales, comme si elles seules pouvaient structurer l’action collective. Héritées d’un autre âge, elles incarnent la délégation et la hiérarchie, là où nos réalités contemporaines exigeraient davantage de fluidité, de dialogue et de coopération. Nous les critiquons, mais nous persistons à les conserver, davantage par habitude, par paresse ou par manque d’implication que par réelle conviction qu’elles soient encore adaptées.
Cette inertie traduit l’impasse d’un monde devenu trop complexe pour les formes anciennes qui prétendent encore l’ordonner. Car nous évoluons désormais dans un univers de crises globales, d’interconnexions planétaire, de temporalités accélérées. Nous vivons dans des sociétés traversées par des systèmes de valeurs multiples, parfois concurrents, qu’aucune structure trop verticale ne pourra harmoniser. Et pourtant, nous continuons d’espérer qu’une autorité centralisée décidera pour nous, qu’elle simplifiera ce qui n’est pas simple, qu’elle apportera des solutions immédiates.
Mais il apparaît chaque jour un peu plus clairement que nous ne pourrons faire l’impasse sur une transformation profonde de nos organisations. Celle-ci ne surviendra pas d’elle-même. Elle relève de nous tous. De ceux que nous apprécions et de ceux que nous redoutons, de nos proches comme de ceux que nous ignorons, des enthousiastes comme des sceptiques. Elle suppose d’apprendre à faire place à la pluralité, non pour la réduire, mais pour en faire émerger une intelligence commune.
Et cela, nul ne l’accomplira pour nous. Il nous faudra co-construire. Non pas comme un fardeau dont il faudrait s’acquitter, mais comme une opportunité précieuse : celle d’inventer ensemble des formes sociales plus justes, plus vivantes, plus adaptées à la complexité de notre temps. Une chance de dépasser la défiance pour retrouver une puissance créatrice collective ; une occasion de transformer nos contradictions en ressources, nos différences en complémentarités, nos hésitations en énergie.
Sur ce chemin, nous avons grandement besoin de femmes et d’hommes inspirants — non pour décider à notre place, mais pour éveiller en nous le désir d’agir et pour tracer des voies que nous pourrons emprunter. Beaucoup ont déjà suscité des engagements, et d’autres viendront encore amplifier cet élan. Et déjà, ce qui émerge aujourd’hui, fragile et incertain, laisse entrevoir les lignes d’un commencement nouveau, possiblement précaire mais assurément porteur d’avenir !