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Quand tout s’entrechoque

Mis en ligne par Grendel Bubble le 26 décembre 2025

Mis à jour le 26 décembre 2025

À l’heure où tout s’emmêle et s’entrechoque, une voie discrète se dessine.
Edito

Vous la sentez, la rage dedans ?

Vous l’entendez, ce petit grondement existentiel ?

Vous le goûtez, ce joli mélange de météo déchaînée, de flux tendu émotionnel et de charge mentale continue assaisonnée de notifications en tous genres ?

Une canicule ici, une inondation là-bas, des droits de douane à la carte, la Covid en collector, des feux de forêt, des pandémies, des conflits en Ukraine, à Gaza (au Soudan tout va bien, rien à signaler…), du plastique dans le sang … et la pénurie de Guiness.

Climat, sécurité, hôpitaux, écoles, justice, transports, économie, tout vacille.

Nos angoisses deviennent récurrentes. Elles surviennent sans s’annoncer, au cœur de la journée ou de la nuit. Elles gagnent aussi nos entourages, nos amis, nos enfants, nos conjoints.

Un bip dans la cuisine. Plus de lait d’avoine biosourcé… Même le frigo veut participer à la fête !

À chaque instant, quelque chose vient heurter l’intérieur, nous secouer dedans, nous détourner du présent. Et pendant que les algorithmes planifient nos prochaines émotions, nous poursuivons notre chemin, sans plus savoir où il nous mène.

On parle. Beaucoup. Tout le temps. À tout le monde.  On partage. Des infos, des avis, des photos, des humeurs. On échange. Des idées, des slogans, des signaux. Vite. Très vite.

Mais à force, on ne se comprend plus.

Chacun a son canal, son langage, ses codes, ses références, ses mots de passe. Ce qui unit ici sépare ailleurs. Ce qui rapproche un instant peut diviser l’instant d’après.

La technologie a réduit les distances et contracté le temps. Elle a rendu l’autre accessible, partout, tout le temps, tout de suite. Mais plus nous nous fréquentons, moins nous nous reconnaissons. Plus nous nous connectons, moins nous cohabitons. Plus nous communiquons, moins nous faisons société.

 

Et pourtant, nous avons bâti de grandes choses.

Nous avons su prédire, modéliser, distribuer, calculer, coordonner. Nous avons créé des systèmes d’une finesse redoutable. Nous avons accompli des prouesses, des merveilles, des révolutions.

Mais nous avons aussi vu venir les impasses et les essoufflements. Nous les avons identifiées, documentées, chiffrées. La montée des inégalités, l’épuisement des ressources, la dégradation des écosystèmes, la fragilité des « démocraties », la perte des repères individuels, l’effritement du lien social.

Nous savons que nos systèmes de soins, nos écoles, notre justice sont sous pression. Nous savons que l’attention à l’autre devient rare. Que les récits communs se fragmentent. Que la défiance augmente. Ce n’est pas une intuition, ce sont des faits. Ce sont nos propres indicateurs qui nous le révèlent. Ce sont nos modèles, nos études, nos bases de données qui pointent vers une limite, vers un seuil.

 

Ce constat appelle aujourd’hui un élargissement du regard.

Nos écueils ne sont pas techniques, ils sont culturels, relationnels, subtils. Ils s’insinuent dans nos représentations, dans nos interactions, dans nos récits, dans nos imaginaires. Précisément là où la technologie est inefficiente.

Bien souvent, nous ne manquons pas de solutions, nous manquons d’espaces d’écoute, d’espaces de présence.

Nous avons brillé dans l’art de structurer, de modéliser, de résoudre. Peut-être est-il temps d’exceller dans l’art de relier, dans le partage de l’expérience vécue, dans la recherche de la qualité du lien, dans la manière d’être ensemble.

Et lorsque nous auront quitté les certitudes tranquilles de l’ordre établi, les promesses linéaires du progrès, les injonctions à la performance, lorsque nous aurons appris à écouter autrement, à entendre la pluralité des voix, à honorer les blessures et les différences, lorsque nous aurons fait place à la coopération, à l’équité et au sensible, dans le fond de ce que nous sommes, nous aurons réalisé un premier pas.

 

Un pas nécessaire, essentiel, vital !

Mais cela ne suffira pas à répondre à la complexité des défis de notre époque. Le monde est devenu tout petit. Aujourd’hui, tout rencontre tout. Les systèmes de valeurs se côtoient, s’entremêlent, s’entrechoquent. On ne vit plus en autarcie, on ne raisonne plus en vase clos. Nous sommes sans cesse confrontés à des vérités qui ne sont pas les nôtres.

Nous pourrions choisir de rejoindre des communautés alignées, qui maîtrisent leur empreinte écologique, respectent la parole de chacun, pratiquent une juste gouvernance ou offrent à chacune et chacun la possibilité d’explorer son intériorité. Et beaucoup l’ont fait. Mais ces oasis subsistent parfois en équilibre fragile, souvent en vase clos ou dans des réseaux précaires, protégées des dynamiques plus vastes qui secouent le monde. Elles témoignent d’un chemin possible, d’un pas précieux, mais insuffisant à lui seul pour embrasser la complexité globale.

Il va donc nous falloir …

apprendre à naviguer dans des systèmes qui ne fonctionnent pas tous de manière identique, à repérer des dynamiques invisibles, à discerner ce qui appelle un dialogue de ce qui exige une décision, dans un monde où tout est connecté, mais où tout n’a pas la même portée, ni le même poids. Il nous faudra aussi avancer sans tout maîtriser, choisir sans certitude, tenir debout au cœur de la complexité. Et reconnaître, enfin, que chacun d’entre nous est à la fois un monde singulier, et la part vivante d’un tout plus vaste.

 

Alors …

De cette tension fertile entre l’individu et le collectif, de ce battement partagé entre l’intime et le vaste, verra-t-on peut-être éclore une nouvelle manière d’habiter le monde, plus juste, plus vivante et plus vraie.